INTERVIEW : Quatre questions à Sibylle Cazacu, Responsable du service Autorisations et Environnement
Les premières études environnementales sur le parc EMYN ont été menées il y a près de 10 ans lors de l’Etude d’Impact Environnemental (E.I.E.), obligatoire pour tout projet d’aménagement. Au printemps 2023, l’équipe a finalisé l’Etat De Référence (EDR) environnemental, c’est à dire une photographie du site avant travaux sur les aspects susceptibles d’avoir le plus évolué (milieux naturel et physique), suivis pendant une année. Entre ces deux étapes clefs, notre service interne Autorisations & Environnement a travaillé en collaboration avec des bureaux d’études, des associations et le réseau de chercheurs qui nous accompagnent au sein du Groupement d’Intérêt Scientifique (le GIS EMYN), pour élaborer et perfectionner les outils et mesures de suivis qui vont être mis en œuvre pendant la construction et l’exploitation du parc.
Sibylle CAZACU, responsable du département Autorisations & Environnement, nous explique son travail.
Quel est le rôle du département Autorisations & Environnement ? Et quelles sont ses missions dans cette nouvelle étape ?
Le rôle de notre département est d’être garant de la mise en œuvre des mesures d’Evitement, de Réduction, de Compensation, d’Engagement et de Suivi (ERCS), qui ont été définies dans l’EIE. Cela implique beaucoup de coordination avec l’ensemble des équipes techniques. On y travaille depuis la phase de conception, afin que nos engagements soient pris en compte dans les contrats avec nos sous-traitants.
Sur le chantier de cet été, ce travail de coordination s’est poursuivi et intensifié entre les intervenants et leurs bateaux. Il a fallu mettre en place un système d’astreinte dans chaque équipe, en lien avec la Coordination Maritime. C’est également nécessaire pour garantir la sécurité des navires de suivi qui accompagnent les navires d’opération lorsqu’ils se déplacent d’une position à une autre, de jour comme de nuit.
Avec le démarrage des travaux en mer, nous sommes entrés dans une phase extrêmement intense puisque nous devons en même temps continuer les suivis réguliers sur zone (par exemple des relevés) en opérant au milieu des navires de travail et déployer des suivis de l’impact des travaux en temps réel. Pour les travaux 2023, nous avions deux suivis principaux à mettre en place : le suivi acoustique et le suivi de la turbidité.
Qui a déterminé ces mesures de suivi ? Et comment leur respect est-il contrôlé ?
Les mesures de suivi (le “S” de ERCS) ont été définies dans notre E.I.E. Si l’on prend l’exemple du seuil acoustique, l’idée était de déterminer un seuil physiologique pour ne pas blesser les animaux, en particulier les mammifères marins. Nous avons donc évalué le bruit que générerait chaque type d’opération dans un rayon de 200 mètres autour de la source sonore. L’Etat De Référence, mené sur une année entre le printemps 2022 et le printemps 2023, nous a ensuite permis de mesurer le niveau sonore naturel du site et ses variations dans le temps grâce à quatre hydrophones installés en permanence sur le sol marin dans et autour de la zone du parc. Par addition, nous savons quel bruit “réel” va être généré sur site par les travaux. Si ce niveau sonore est jugé acceptable, après analyse par la communauté de chercheurs qui valide nos protocoles en concertation avec les services de l’Etat, il devient le seuil maximal à respecter pour toute la durée du chantier. C’est une précaution générale, car pour les espèces les plus sensibles, comme les mammifères marins, nous avons des mesures de protection spécifiques.
Pendant les opérations en mer, la surveillance est continue. Le niveau sonore et le niveau de turbidité sont surveillés en temps réel par des bureaux d’études spécialisés et enregistrés dans le registre de chantier. Une chaîne d’alerte est prévue en cas de dépassement, et peut entraîner un arrêt temporaire des travaux. Un rapport acoustique est par ailleurs produit toutes les 72h et tenu à disposition des services de la Préfecture qui assure la police de l’environnement, à savoir la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) et la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) directement par le bureau d’étude prestataire. Enfin, en ce qui concerne le suivi de la turbidité, un rapport hebdomadaire est transmis à ces mêmes services.
Parmi ces mesures, vous nous avez parlé du suivi des mammifères marins. Pouvez-vous nous en dire plus sur les mesures de protection qu’EMYN a mises en place cet été ?
Effectivement, on rencontre sur la zone des dauphins communs, grands dauphins et marsouins. Pour ces animaux, une bonne ouïe est une question de survie. Si le bruit fait naturellement fuir les mammifères marins, un niveau sonore qui s’élèverait brutalement du fait d’une machine pourrait endommager leur appareil auditif. C’est ce que l’on cherche à éviter.
C’est pour cela que, pendant toute la durée des opérations, le navire de travail a été précédé par un navire support afin de commencer la détection visuelle et acoustique de mammifères marins 30 mn avant le démarrage de chaque atelier. Cela impliquait d’installer, à chaque nouvel emplacement du bateau, deux bouées hydrophones placées de part et d’autre de la source sonore pour surveiller la présence de mammifères dans un cercle d’environ 300 m. Des opérateurs spécialisés en PAM (Passive Acoustique Monitoring) se relayaient à bord du navire support pour écouter en continu les sons émis dans la zone et analyser l’enregistrement des fréquences retransmis en temps réel par les bouées hydrophones. L’intégralité de l’atelier était ensuite suivie par ce même dispositif acoustique.
Cette détection sonore était doublée d’une détection visuelle des mouvements à l’aide d’un drone doté d’une caméra thermique pour balayer la zone et, par précaution vis-à-vis des aléas météorologiques, deux observatrices dédiées ont été positionnées sur le navire de travail pour une surveillance de l’intégralité des ateliers tant que la lumière du jour le permettait. Elles ont travaillé en rotation entre 5h et 22h.
Comment se sont déroulées les opérations de cet été ? Quel bilan en faites-vous ?
Sur le point précis des mammifères marins, nous avons parfois dû reporter les débuts d’atelier. Cela est arrivé régulièrement ; parfois en raison de la présence d’animaux sur zone, c’était donc l’affaire de quelques minutes de surveillance supplémentaire le temps qu’ils partent, parfois une journée et une nuit entière, lorsque les conditions météorologiques ne permettaient plus aux navires supports d’opérer et au matériel de suivi d’être déployé. Le mois de juillet n’a pas été très clément !
Malgré ces écueils, le bilan général est que l’ensemble des ateliers de travail ont fait l’objet d’une surveillance préalable ainsi que d’un suivi acoustique dans leur intégralité selon les protocoles prévus et actés avec le réseau de scientifiques qui nous accompagne dans le cadre du GIS. C’est une satisfaction. Ces premières opérations nous ont permis de rôder nos circuits de communication et de décision. Nous avons fait face à des difficultés très concrètes et mis en place des solutions opérationnelles pour y palier. Nous allons maintenant pouvoir les retravailler pour gagner en fluidité en vue des prochaines opérations.